Loin de vivre dans un
no man’s land, les jeunes de la rue s’approprient la marge urbaine dans une perspective de réalisation de soi. Pour des jeunes fuyant la violence familiale et institutionnelle, ce « choix contraint » est l’expression d’une survie identitaire, même si la part de risques, de souffrances et d’insécurité est grande. L’auteur nous invite à porter un regard différent sur les jeunes de la rue et à comprendre le processus d’identification au coeur de ces pratiques d’appropriation de l’espace. Au-delà de son statut marginal, le phénomène des jeunes de la rue met en lumière des enjeux éthiques dans la société actuelle qui ne se réduisent pas aux seules questions de sécurité urbaine et de santé publique. Par conséquent, il importe de revoir nos critères permettant de discerner le normal du pathologique. Il n’existe pas de liens sociaux sans lieux ni de lieux sans prégnance symbolique. Ainsi, il s’agit de distinguer les situations favorisant la construction identitaire de celles qui aliènent le sujet vivant dans la marge sociale. Cette problématique oblige à considérer la situation selon les aspects paradoxaux que sont l’émancipation et l’aliénation à travers l’expérience de la rue.
Les concepts clés d’espace transitionnel (Winnicott), de socialisation marginalisée et de représentation topologique permettent de reconnaître un potentiel de socialisation des jeunes de la rue qui varie selon leur parcours personnel. Les résultats d’une recherche empirique auprès de trente jeunes de la rue à Montréal sont présentés à l’aide de nombreux extraits d’entretiens semi-dirigés. Leurs pratiques d’appropriation sociospatiale sont examinées dans le contexte de revitalisation urbaine du centre-ville de Montréal. Finalement, des pistes d’orientation de l’intervention sont proposées dans une perspective critique du concept d’exclusion.