Manifestations étudiantes : on rate la cible de l’éducation
Les Québécois partagés
Rien n’est surprenant dans cet état de fait dévoilé par un sondage Léger Marketing récent. Les deux parties se comportent comme s’ils détenaient toute la vérité, tout le temps. Or, la réalité vécue présentement reflète le manque flagrant d’éducation de toute une population.
La vraie cible manquée : l’éducation
Depuis que nous avons un « ministère » qui s’occupe des écoles de la province, les gouvernements successifs n’ont jamais compris ce qu’est vraiment l’éducation. Cela a des effets dévastateurs sur la compréhension que la population s’en fait. En 1964, la Commission Parent a proposé de créer un Ministère de l’Éducation, qui remplaçait le Département de l’Instruction Publique. Ce changement de nom n’a signifié qu’un jeu d’esthétique des mots car on a simplement continué de s’occuper d’instruction sous le titre plus ronflant de l’éducation. Nous nous sommes alors libérés de la mainmise du clergé sur un système scolaire rachitique. En même temps, nous avons redéfini ce dont nous pensions avoir besoin, en tant que peuple, en termes d’instruction pour tous. Dans cette discussion, chaque mot a de l’importance.
Depuis, le défi de la démocratisation de la scolarisation a bel et bien été relevé avec succès, ce qui fait que quiconque peut aller à l’école. Le problème ne se situe cependant pas sur ce plan de la structure scolaire elle-même mais plutôt dans le contenu transmis dans nos écoles, ce phénomène existant jusque dans nos universités. L’instruction dispensée dans ce système est somme toute de bonne qualité. Bien que surchargée autant dans le temps que dans une obsession du nombre des matières scolaires, les connaissances transmises sont certainement utiles. Ce qui manque, c’est une éducation véritable, définie comme une transmission cohérente et organisée de valeurs qui aident les jeunes à définir leur succès humain en apprenant à faire quelque chose de constructif avec et à travers ce qu’ils apprennent. Bref ce sont les valeurs qui importent et non pas les connaissances en soi, celles-ci étant des moyens, importants certes, pour comprendre les réalités à influencer. Si nous désirons que la voie de l’instruction continue d’être notre priorité ultime, la table est mise pour perpétuer la formation de bons petits soldats pour le système économique en place. Dans ce cas, la détresse évidente de nos jeunes importe peu. Dans le cas où nous choisirions de communiquer une éducation véritable, cette souffrance deviendrait centrale à un processus organisé de guérison, à travers un équilibre entre des connaissances et des valeurs bien choisies et visant à prendre soin des personnes. Ce choix représenterait une révolution « éducative ».
Démocratiser la scolarisation était un grand défi quantitatif pour assurer que toute personne ait accès à l’école pour s’instruire. L’immense défi actuel est plutôt d’ordre qualitatif car le but consiste à éduquer. La différence fait qu’un individu éduqué est guidé par des valeurs humaines alors que l’instruit sait plus ou moins d’éléments appris, ce qui risque toujours de le mener vers l’inconscience d’une certitude aliénante. Il s’agit bien de deux plans différents d’influence des personnes. Ce n’est pas parce qu’on sait beaucoup de choses qu’on se comporte avec respect, amour et compassion. Cette différence est énorme dans son influence sur l’évolution d’une société et d’une culture.
Toute personne vivant au Québec doit enfin avoir accès à une véritable éducation. Ce grand changement de pensée s’effectuera en transformant une mentalité d’accumulation de notes et de diplômes, qui rend les jeunes inconscients face aux buts que ce savoir accumulé devrait les amener à poursuivre dans leur vie, à une mentalité d’éducation qui se préoccupe davantage de leur développement humain. Nos jeunes doivent se laisser entraîner dans une telle révolution éducative qui visera à renouveler les valeurs de notre culture, vers le haut. L’hégémonie économique a fait son temps; celle de l’instruction inconsciente aussi d’ailleurs.
Cette lutte entre les étudiants et le gouvernement du Québec a mis à vif des aspects politique, économique, social et culturel que beaucoup de citoyens n’acceptent plus et qui devront être discutés et solutionnés. Elle a aussi mis en évidence que les deux belligérants ont raté l’importante cible d’un passage de l’instruction à l’éducation. La compréhension de l’importance de cette distinction sur notre avenir collectif est fondamentale.
La lutte dans les rues
La lutte est bien équilibrée car l’inconscience règne des deux côtés. D’un côté les étudiants avec leurs actions disparates – tantôt organisées dans le calme le plus civilisé, assez puissant pour faire fléchir n’importe quel pouvoir – mais en d’autres occasions, dans une colère qui leur met beaucoup de monde à dos. Dès qu’il y a de la casse, peu importe qui l’engage ou la soutient, la cause étudiante en souffre grandement. Toute étincelle de barbarisme, par voie d’énergie destructrice, de vandalisme, voire d’émeute, remet davantage de pouvoir dans les mains du gouvernement, d’où l’importance de continuer sur la voie de la non-violence. Rien dans les circonstances présentes ne peut justifier les émeutes brutales et la destruction de propriété qui n’appartient pas aux manifestants. L’anonymat derrière des masques ne fait que rendre à son paroxysme l’impossibilité d’accepter de tels gestes.
Au bout du compte, nous payons tous pour ces ridicules actes de destruction. Une telle stratégie de la lutte dans les rues aurait dû tenir compte, en l’envisageant à l’avance et en le prévenant, du fait que des casseurs infiltreraient les rangs étudiants. Ne l’ayant pas prévu, le pouvoir de la foule change constamment de mains, au point qu’aucun contrôle n’est plus exercé par personne.
Le nombre d’étudiants impliqués dans ces manifestations de même que la diversité des points de vue face à une seule et même cause était une recette parfaite pour que des débordements se produisent. La cause étudiante est tout sauf claire. Leur naïveté est de croire que ce n’est qu’en demandant et en s’entêtant qu’on peut obtenir tout ce qu’on veut. On ne peut surtout pas faire une démonstration par un simple calcul mathématique du nombre de manifestants ou d’étudiants en « grève » comme étant la preuve indéniable d’un mouvement social profond et à long terme. Pensons à la motivation réelle des élèves du secondaire dans leur appui à ce mouvement. Rien n’est plus facile que d’amener des individus à en suivre d’autres. Pensons également à toutes les étudiantes et tous les étudiants qui ont perdu tout droit de dissidence, voire de parole, devant cette masse menaçante. Il est d’ailleurs très ironique de constater que les étudiants tombent dans le même piège de l’intimidation dès que la ligne de leur parti, pour l’instant majoritaire, n’est pas respectée. Ce comportement est digne des plus vieux, et plus dépassés, partis politiques qui nous abaissent tous.
Les étudiants se battent pour faire modifier des détails, à certains égards importants, d’un système scolaire qui n’en finit plus d’agoniser. Ce qui devra frapper les étudiants est l’évidence que le pouvoir ne peut être conquis dans un trop grand désordre social sans que le gouvernement ne mette en action toutes les forces légitimées par les lois. Nous en sommes malheureusement là.
De l’autre côté, un gouvernement patient dans son inertie et sa certitude que des bourdes imbéciles et absurdes seront commises tôt ou tard, ce qui arrive au quotidien. Ce flair politique est dépassé parce qu’hautain et méprisant, malhonnête et de mauvaise foi. Nos politiciens ne comprennent pas que l’actuelle révolte représente le fond de la pensée d’une population en mal d’une frustration tellement profonde qu’elle ne peut plus être contrôlée par les moyens civilisés de la discussion rigoureuse basée sur une probité intellectuelle sans compromis. Le gouvernement, dans la ligne de son parti au pouvoir, a présenté un front commun digne du plus intransigeant dictateur. En bon protecteur de l’ordre public, il s’est battu pour que le statu quo soit maintenu coûte que coûte. Son entêtement lui rapporte peut-être à court terme dans la bataille de l’opinion publique mais à long terme cela le desservira dans son rapport électoral avec cette forte population étudiante. Les moyens utilisés par ces deux guerriers aveuglés sont en panne autant d’idées que de soutien populaire. Entre-temps, soyons bien certain que le capitalisme survivra à ce soubresaut passager.
Il est à souhaiter…
• que les deux partis s’entendent pour mettre fin à cette mise en scène de causes irréalistes;
• que le Ministère de l’Éducation guide les efforts de ses fonctionnaires à comprendre enfin ce qu’est l’éducation;
• que partout, sur le territoire québécois, l’éducation se répande pour que nous sortions du marasme social et politique présent.
Il est surtout à souhaiter que la population québécoise comprenne que c’est par l’éducation que notre conscience humaine s’élèvera au point où l’évolution sociale en soit pour toujours marquée.
Par Pierre Demers, PhD
Professeur à la retraite (pierre.demers@usherbrooke.ca)
Auteur des livres intitulés Élever la conscience humaine par l’éducation (PUQ – 2008) et
L’humanité. De l’obscurité à la lumière. L’éducation pour rendre le pouvoir à l’être humain (PUQ – 2011).
Mots-clés : étudiants, grêve, Pierre Demers