Pour une écoalimentation
Lucie Sauvé, Nayla Naoufal et Eva Auzou
Pesticides, mercure, OGM, malbouffe, obésité, cancers, « faim dans le monde »…, ces mots ou ces expressions se retrouvent ainsi désormais partout dans l’espace médiatique et imprègnent le discours social. À la recherche de solutions et en réponse au désir fondamental de « vivre bien » et de manière intègre, un nombre croissant de personnes et de groupes sociaux manifestent leur intérêt non seulement pour la sécurité alimentaire, mais également pour la souveraineté alimentaire, l’agriculture locale, l’agriculture écologique, la nourriture bio, les cuisines collectives, la consommation solidaire, pour le commerce équitable…
Un important mouvement de transformation des mentalités et des pratiques voit le jour, à l’initiative d’acteurs sociaux visionnaires ou intuitifs, créatifs et courageux, œuvrant le plus souvent à l’échelle locale et expérimentale, dans un contexte de précarité. Au Québec, les initiatives qui s’intéressent aux liens entre l’alimentation, l’environnement et la santé sont de plus en plus nombreuses et variées. Parmi celles-ci, on retrouve des jardins communautaires ou collectifs, des groupes d’achat, des coopératives, des marchés de solidarité, des tables champêtres, des initiatives de permaculture, le fameux « panier bio » dans le cadre du réseau d’Agriculture soutenue par la communauté (ASC) mis en place par Équiterre, etc.
En particulier, il importe de souligner l’essor des jardins communautaires et collectifs au Québec et dans diverses parties du monde, et de mettre en lumière leurs apports écologiques, sanitaires, sociaux et économiques. On les retrouve dans divers milieux et contextes: à l’école, dans les universités, les camps de réfugiés, les hôpitaux, les prisons… Selon le Répertoire des initiatives en agriculture urbaine à Montréal (CRAPAUD, 2010), il y existe 98 jardins communautaires, plus de 75 jardins collectifs, près d’une dizaine de jardins institutionnels, sans compter tous les jardins maraîchers dans les arrière-cours et les diverses autres initiatives de ce type.
Une dimension essentielle : l’éducation
Plusieurs organisations œuvrant dans le domaine de l’écoalimentation – où l’on retrouve surtout des ONG et des entreprises d’économie sociale – ont saisi l’importance d’intégrer une dimension éducative à leurs activités. Elles contribuent à enrichir la sphère de la vie domestique d’une dimension politique, exerçant ainsi – à partir de l’acte essentiel et quotidien de s’alimenter – une fonction de critique sociale et de transformation. Ces organisations méritent d’être répertoriées, étudiées, mieux valorisées et soutenues.
Le secteur de l’éducation non formelle – plus spécifiquement de l’éducation populaire et communautaire – est ici particulièrement interpellé. Il importe en effet de compléter les apports, certes croissants, mais encore insuffisants, du secteur de l’éducation formelle (en contexte scolaire) qui n’accorde pas toute l’importance requise à cette dimension pourtant fondamentale de nos sociétés, soit le rapport à l’alimentation en lien avec l’environnement et la santé.
C’est ainsi que nous avons entrepris, de 2006 à 2011, une vaste enquête[1] visant, entre autres, à repérer les initiatives des acteurs de l’éducation non formelle en matière d’éducation relative à l’écoalimentation. Nous définissons celle-ci comme une éducation visant à favoriser un cheminement individuel et collectif vers une saine alimentation (diversifiée et sécuritaire), produite, distribuée et consommée dans le respect des processus écologiques et de l’équité des rapports sociaux.
Nous avons tenté de cerner les fondements, les pratiques, les réussites, les difficultés et les pistes de développement de l’éducation relative à l’écoalimentation au Québec telle que conçue et mise en œuvre par des structures associatives ou d’autres types d’organisations ou d’entreprises. Notre démarche vise essentiellement la valorisation, l’amélioration et le soutien des pratiques éducatives en matière d’écoalimentation. Pour y parvenir, nous avons privilégié, il va sans dire, une approche collaborative avec les acteurs engagés dans ce domaine.
Nous avons d’abord développé un répertoire descriptif des initiatives québécoises en écoalimentation qui intègrent une dimension éducative. Globalement, ce répertoire permet de mettre en lumière la grande richesse et la diversité du « territoire » actuel de l’éducation relative à l’écoalimentation au Québec. Parmi les types d’initiatives concernées (plus de 100 organisations, entreprises et projets), on trouve des associations, des centres d’interprétation, des fermes éducatives, des musées, des jardins communautaires ou collectifs, des jardins muséologiques, des groupes d’achat, des coopératives, des marchés de solidarité, des tables champêtres, etc. Plusieurs de ces organisations collaborent avec le milieu scolaire.
Des initiatives inspirantes
L’enquête que nous avons menée pour développer le répertoire nous a permis d’identifier des initiatives particulièrement pertinentes, caractérisées par une dynamique d’apprentissage ou par une action éducative structurée et nourrie d’une expérience réflexive en matière d’éducation relative à l’écoalimentation. Nous avons entrepris des études de cas collaboratives portant sur dix de ces organismes, programmes ou projets, en collaboration avec leurs acteurs.
Notre livre « Pour une écoalimentation » raconte les dix belles histoires de ces organismes, comme autant de sources d’inspiration pour transformer notre rapport individuel et collectif à l’alimentation et à l’environnement et pour stimuler l’émergence d’initiatives de ce type à l’école, en milieu communautaire, en entreprise de développement local ou dans d’autres secteurs d’activité.
Lucie Sauvé est professeure titulaire à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle est directrice du Centre institutionnel de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté et membre de l’Institut des sciences de l’environnement.
Nayla Naoufal est titulaire d’un doctorat en sciences de l’environnement de l’UQAM. Elle s’intéresse notamment à la contribution de l’éducation relative à l’environnement à la construction d’une dynamique de paix.
Eva Auzou, géographe de formation et doctorante en éducation, réalise sa thèse en cotutelle entre l’UQAM et l’Université Toulouse II – Le Mirail (France). Elle a participé à de nombreux projets de sensibilisation à l’environnement et d’animation nature en milieu scolaire et extrascolaire.
Mots-clés : agriculture écologique, bio, cuisines collectives, écoalimentation, malbouffe, panier bio, pesticides, Presses de l'Université du Québec