Une femme à la tête de la Réserve fédérale américaine?
Diane Bellemare
La banque centrale américaine, la Federal Reserve Bank (Fed), n’est pas une banque comme les autres. C’est une institution financière d’importance stratégique à la fois pour les États-Unis et pour l’ensemble des économies mondiales. Elle imprime les dollars américains, prête notamment au gouvernement fédéral américain et exerce un rôle déterminant dans l’établissement des taux d’intérêt à court terme. L’influence de cette institution dépasse largement les frontières américaines et les retombées de ses décisions influent sur le Canada, compte tenu des liens étroits entre les deux économies.
Madame Janet Yellen a été choisie par le président Obama pour prendre la relève, dès janvier prochain, de monsieur Ben Bernanke, l’actuel président de la Fed. Ce choix doit cependant être confirmé par le Sénat américain, et certains républicains, dont Ron Paul du Tea Party et de l’aile radicale libertarienne, contestent cette candidature parce que madame Yellen serait trop keynésienne à leur goût.
Qui est madame Yellen? C’est une économiste qui, avant de travailler à la Fed, enseignait à l’université de Berkeley. Elle est réputée notamment pour ses travaux en économie du travail et ses recherches effectuées avec son mari, George Akerlof (prix Nobel d’économie 2001), sur la théorie des salaires d’efficience dont je parle en avant-propos de mon livre, Créer et partager la prospérité. Cette économiste réputée et dont les compétences sont largement reconnues serait la première femme à la tête de la Fed.
Ce n’est pas seulement parce que madame Yellen est une femme que je tiens à souligner sa future nomination, mais surtout parce qu’elle et moi partageons la même préoccupation: la promotion de l’emploi.
En effet, promouvoir l’emploi, c’est promouvoir non seulement la prospérité économique mais aussi la justice sociale. Comme madame Yellen le disait en entrevue, si elle s’est investie en économie, c’est pour améliorer le sort de l’humanité.
Je salue le choix du président Obama parce que, comme je l’explique dans mon livre, la conduite de la politique monétaire est un élément stratégique nécessaire à la promotion de l’emploi. La loi de la Réserve fédérale américaine (telle qu’adoptée en 1977) attribue à cette institution financière le double mandat de promouvoir l’emploi au maximum ainsi que d’assurer la stabilité des prix. Il n’en est pas ainsi au Canada, où la Banque du Canada s’est vue attribuer la poursuite de la stabilité des prix sans égard à la promotion de l’emploi.
Depuis décembre 2012, la Fed a pris la décision de ne pas resserrer sa politique monétaire et de ne pas augmenter les taux d’intérêt avant que le taux de chômage ne baisse à 6,5% et que le taux d’inflation ne dépasse pas les 2,5%. C’est une première que de lier officiellement la conduite de la politique monétaire à une cible de taux de chômage. On doit cette idée au président de la Banque de Chicago, Charles Evans, qui proposait de poursuivre une politique monétaire expansionniste jusqu’à ce que le taux de chômage atteigne 5,5%. Madame Yellen s’est faite une ardente défenseure de ce virage historique de la politique monétaire américaine, comme en témoigne une présentation remarquée lors d’un récent colloque de l’American Federation of Labour – Congress of Industrial Organisations (AFL-CIO).
Si la nomination de madame Yellen au poste de présidente de la Fed se confirme, on peut s’attendre à ce que les taux d’intérêt demeurent faibles aussi longtemps que le taux de chômage américain se maintiendra au-dessus de la barre des 6,5%.
Le maintien de taux d’intérêt faibles constitue une bonne nouvelle pour les Américains et pour les Canadiens, et en particulier pour tous les ménages qui veulent s’acheter une maison ou contracter une hypothèque, pour les étudiants qui doivent rembourser un prêt, pour les consommateurs canadiens qui font face à un taux d’endettement élevé et pour tous les nouveaux entrepreneurs et travailleurs autonomes qui veulent démarrer une entreprise.
Cependant, quoique condition nécessaire, la politique monétaire n’est pas la panacée pour atteindre le plein emploi. Pour être pleinement efficace, elle doit s’appuyer sur une politique fiscale et budgétaire appropriée et être soutenue par des politiques d’emploi.
J’ose espérer que les développements concernant la conduite de la politique monétaire américaine inspirent ceux de la politique monétaire canadienne, et que cette dernière soit appuyée par des politiques fiscale, budgétaire et du marché du travail en harmonie avec les réalités sociales, tant chez nos voisins du Sud qu’au Canada.
Diane Bellemare, Ph. D. en économie de McGill et M.A. de Western Ontario, a été professeure titulaire à l’ÉSG de l’UQAM, consultante auprès d’organismes gouvernementaux et syndicaux, PDG de la SQDM et présidente de la Commission des partenaires du marché du travail, vice-présidente au Conseil du patronat du Québec et conseillère économique du chef de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale. Elle est sénatrice depuis septembre 2012.
Mots-clés : banque centrale américaine, Créer et partager la prospérité, économie, Janet Yellen, plein emploi