Crise écologique, barbarisation et solidarité
Vu la crise écologique menaçant le futur de l’humanité, si la tendance se maintient, la voie qui se dessine devant nous est celle d’une progressive barbarisation du monde. Il y a cependant une solution alternative, celle d’un approfondissement de la voie solidaire entre le Nord et le Sud, avec les groupes aujourd’hui subalternes.
En quoi consiste la crise écologique? La pollution et la dégradation de l’environnement, l’épuisement des ressources et le changement climatique, dont les causes sont essentiellement anthropiques, c’est-à-dire liées à l’activité humaine, sont autant de phénomènes interreliés qui menacent notre environnement et notre survie dans cet environnement. Ainsi, la pollution atmosphérique affectant l’air que nous respirons, les terres inondées, désertifiées, épuisées ou contaminées qui rendent la production d’aliments plus difficile et qui affectent notre santé, la diminution des sources d’eau potable essentielles à la vie de même que la pollution des océans réduisant les ressources marines, voilà autant de pressions qui affectent déjà la vie de milliards d’individus.
La tendance est claire. Les pays du Sud et les couches sociales les plus pauvres du Sud et du Nord sont les premières victimes de la crise écologique et ce sont eux qui en subiront de plus en plus les effets néfastes et qui seront aussi les plus dépourvus pour y faire face. Par ailleurs, ce sont les pays du Nord et les couches sociales les plus aisées, c’est-à-dire les premiers responsables de cette crise, qui pourront profiter d’éventuels avantages et qui auront plus de moyens pour s’adapter à ses effets néfastes et les atténuer.
Le modèle de développement qui a engendré cette crise écologique est celui d’un capitalisme fondé sur la compétitivité dans la recherche du profit maximal et croyant aux vertus autorégulatrices du marché. S’il est vrai qu’il a favorisé l’émergence de nombreuses innovations technologiques, il est aussi vrai qu’il a engendré une concentration extrême de la richesse (le 1% des individus les plus riches de la planète concentrent 46% de la richesse mondiale, pendant que les 50% les plus pauvres n’ont que 1%) et un rapport avec la nature qui n’est plus soutenable. Un tel modèle est basé sur une croissance illimitée sur une planète où les ressources et la biocapacité sont en fait limités. C’est cette foi inébranlable dans le progrès et le développement des forces productives, à l’accumulation qu’ils impliquent et aux technologies qu’ils exigent, qui a généré un rapport avec la nature qui n’est pas viable. Nous faisons face à une véritable crise de civilisation, une civilisation du progrès par la croissance qui pousse l’humanité dans le sens d’une nécessaire transition vers un autre modèle.
Ainsi, le mode de vie nord-américain, de consommation de masse, qui a inspiré l’idéologie du développement et de la croissance, constitue à la fois une menace et un mirage. Il est une menace, car il ne peut se reproduire que sur la base d’une externalisation des coûts environnementaux provoquant une dégradation accrue de la nature. Il est un mirage, car il n’est pas généralisable à l’ensemble de la planète et il ne peut se maintenir qu’en excluant de ce mode de vie des milliards d’individus, surtout des pays du Sud. Voilà une situation d’injustice profonde qui est socialement explosive.
Prétendre répondre à cette crise écologique tout en maintenant le pouvoir et les privilèges des individus et des grandes entreprises qui dominent actuellement le monde et sans remettre en question les structures sociales dans lesquelles nous sommes enfermés revient à dire que ce sont les majorités subalternes et appauvries qui devront assumer le fardeau de la dette écologique. Dans un tel cadre, pour régler les conflits qui vont inévitablement s’exacerber, on peut s’attendre à une augmentation de la coercition, voire une militarisation croissante du monde, incluant le perfectionnement du système de surveillance et de contrôle des citoyens, la mise en place de murs matériels et juridico-politiques pour contrer les mouvements migratoires, la criminalisation des mouvements sociaux, notamment autochtones, paysans et environnementaux qui contestent l’actuel modèle de développement, et la poursuite de la croisade contre le terrorisme, avec ses prisons secrètes, ses drones procédant à des exécutions extrajudiciaires et ses guerres préventives faisant des milliers de victimes civiles, essentiellement dans les pays du Sud. Bref, ce dont il est question ici, c’est d’une barbarisation croissante du monde contre les intérêts des groupes pourtant majoritaires, mais subalternes.
Pour sortir de cette voie de la barbarisation dans laquelle le système mondial est déjà engagé, il faudra affronter la crise écologique avec les groupes majoritaires, notamment dans les pays du Sud, qui sont aujourd’hui largement exclus des processus de prise de décision, en tenant compte de leurs intérêts, de leurs points de vue et de leurs projets de sociétés. Or, nous avons eu l’occasion au cours des trente dernières années d’observer de près de nombreuses expériences menées par des organisations d’Amérique latine et d’Asie et nous sommes persuadés que leur capacité a été généralement sous-estimée et que plusieurs d’entre elles sont porteuses de projets alternatifs de sociétés. Ce qui ressort avec force, si on se donne la peine de se rapprocher d’elles, de les écouter et de les valoriser, est leur grande capacité de résistance et de proposition. Elles sont non seulement capables d’exécuter des projets communautaires à l’échelle locale, mais elles peuvent aussi réaliser des programmes de grande envergure, maîtriser de nouvelles technologies, devenir des acteurs sociaux à l’échelle nationale et internationale, résistant à leur assujettissement et mettant de l’avant des propositions d’approfondissement de la démocratie et de modèles novateurs de développement. Le paradigme du Buen Vivir émanant des cultures autochtones, inscrit dans les constitutions de l’Équateur et de la Bolivie, en est un exemple.
Bref, la solution de la crise écologique peut se faire en solidarité et en alliance avec les groupes subalternes du Sud. On pourrait même affirmer que ces derniers sont porteurs de solutions alternatives pour l’humanité. Une façon de les mettre de l’avant et de faire le lien entre le Nord et le Sud est par une coopération internationale solidaire qui apprenne de ces alternatives des groupes subordonnés et qui s’insère dans des mouvements de transformation sociale, osant intervenir dans les espaces politiques où se prennent les décisions à l’échelle nationale et internationale et osant mobiliser la population et tisser des alliances pour construire un rapport de force capable de soutenir et de pousser le changement.
Paul Cliche, Ph. D. en anthropologie et M.A. en sciences de l’éducation, est enseignant et chercheur à l’Université de Montréal ainsi que consultant et formateur à l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). Il est impliqué dans le domaine du développement depuis le début des années 1980.
Mots-clés : coopération internationale, Crise écologique, solidarité