L’arrogance de certains parents
Antoine Baby, sociologue, chercheur en éducation et auteur du livre Qui a eu cette idée folle? Essai sur l’éducation scolaire paru aux Presses de l’Université du Québec
Les relations entre l’école et la famille connaissent des périodes difficiles par les temps qui courent, du moins dans certains milieux. Un exemple nous en est donné par deux articles parus dans Le Devoir des 15 et 16 février. Le premier nous rappelle que le parent roi n’est pas mort et nous livre le portrait d’une mère de quatre enfants qui jette sur l’école un regard d’une arrogance et d’une suffisance rares. Il semble s’agir d’une femme au foyer financièrement à l’aise, qui a le temps et les moyens de se mêler de tout et de rien. Je n’ai pas dit : qui n’a rien d’autre à faire que de se mêler de… Elle s’autoproclame monarque et assume pleinement sa « couronne de parent-roi » ! Pour avoir été longtemps dans les comités d’école et les comités de parents, ancêtres des conseils d’établissement et pour être resté en contact avec le milieu scolaire, je n’ai aucune difficulté à m’imaginer le personnage, non plus que sa « tonitruance ». Paraphrasant une chanson de Piaf, je la vois bien « semer la terreur dans tout l’établissement » !
Il y a mille à parier qu’elle est la mère d’enfants rois qui ont toujours raison, même quand ils ont tort. Elle aussi, à l’école, doit avoir toujours raison. Elle sait tout, elle voit tout, elle entend tout, comme dans la chanson. Sans le moindre repentir, elle persiste et signe : « C’est malheureux, dit-elle à la journaliste, mais c’est là pour rester. Je ne redonnerai pas l’autorité à l’école ! » Voilà qui est clair. C’est sans doute cette arrogance qui a mis le feu dans l’encrier du journaliste David Desjardins qui lui répond vertement dès le lendemain. Des parents comme ça, l’école qui fait face à d’énormes problèmes pourrait s’en passer. J’endosse intégralement le point de vue de Desjardins et je vais plus loin.
Dans mon livre « Qui a eu cette idée folle? Essai sur l’éducation scolaire », je vais même jusqu’à dire que l’école non seulement ne doit pas tolérer de telles attitudes de la part des parents, mais encore a-t-elle le devoir, dans l’intérêt des enfants eux-mêmes, de demander des comptes à la famille qui oublie trop souvent qu’il lui revient de préparer l’enfant et de le supporter sur les chemins de la réussite et de la persévérance scolaires. Par défaut de qualifier la réussite autrement que par l’adjectif « éducative », on en est réduit à penser que l’entière responsabilité de cette réussite revient à l’école. Dès lors, la cour de l’école devient le site d’enfouissement sanitaire de tous les problèmes de la société. Trop facile. C’est pourquoi je propose de distinguer réussite éducative scolaire et réussite éducative familiale, ce qui permet à l’école de demander des comptes à la famille pour sa part de responsabilités et de mieux assurer le nécessaire équilibre dans la répartition des tâches qui concernent la réussite des enfants.
Dieu merci, l’immense majorité des parents n’ont pas les moyens matériels d’être aussi baveux à l’endroit de l’école. Il y a dans cette attitude d’arrogance un illogisme qui fait penser à l’oiseau qui salit son nid. Ce serait donc dans une école aussi minable que l’on veut que son petit chouchou d’enfant réussisse et persévère? Et il n’est pas besoin d’être grand clerc ni même de s’en tenir de façon obsessive à des études statistiquement significatives à p : 001 pour avancer l’idée que la pire des choses que les parents peuvent faire pour nuire à la persévérance et à la réussite scolaires de leurs enfants, c’est de salir l’école et de la démolir devant eux quand ils ne sont pas d’accord. Comment peut-on logiquement obliger ses enfants à se rendre à l’école tous les matins, comment peut-on penser qu’ils aiment aller à l’école si l’image que nous leur en donnons est celle d’un repère de paresseux, de parasites et d’incompétents? C’est une question de logique et de gros bon sens.
Sur la base d’une expérience de plusieurs années et d’un contact constant avec le milieu scolaire, je serais prêt à proposer, au moins à titre d’hypothèse de travail, qu’il en est de l’attitude des parents à l’endroit de l’école comme il en est de l’attitude qu’ils ont l’un envers l’autre après une séparation. On sait déjà en effet de sources fiables que ce n’est pas tellement la séparation des parents comme telle qui est néfaste aux enfants en bas âge, mais bien le fait que les parents séparés s’agressent, règlent leurs comptes et se démolissent en présence de leurs enfants au lieu de le faire privément, à leur insu. De même, ce ne serait pas le fait que les parents ne sont pas d’accord avec l’école qui serait attentatoire à la persévérance scolaire des enfants, mais bien le fait d’entretenir une image négative et de s’adonner à une entreprise de démolition systématique de l’école en présence de leurs enfants. Voilà une hypothèse qu’il vaudrait la peine de soumettre à une vérification systématique. Si elle s’avérait fondée, cela permettrait aux parents de corriger leur attitude en conséquence ajoutant ainsi un facteur de plus en faveur de la persévérance de leurs enfants.
L’idée n’est pas que les parents doivent se laisser tondre par l’école. On en est loin d’ailleurs. C’est plutôt que les parents doivent exprimer à l’école (et non à leurs enfants) leurs désaccords et négocier avec elle les aménagements utiles plutôt que de déblatérer contre elle « in absentia » et en pure perte. Il est de sens commun que, pour aimer l’école, nos enfants ont besoin de savoir que, de façon générale, nous avons confiance en l’école. De même pour le personnel scolaire. Pour pouvoir intéresser les enfants à l’école, il a besoin de savoir que, règle générale, les parents lui font confiance. Les parents doivent cesser de considérer que l’école n’est qu’une délégation de la famille. Cette époque est révolue. Pour pouvoir remplir une mission qui lui est propre telle qu’elle est définie par la Loi de l’instruction publique, l’école doit jouir d’une pleine autonomie. La société toute entière a intérêt à ce que l’école établisse avec la famille une relation positive de confiance entre deux partenaires égaux.
Titulaire d’un baccalauréat en droit, d’un baccalauréat en éducation, d’une licence en orientation scolaire (Université Laval) et d’un doctorat en sociologie (La Sorbonne, 1965), Antoine Baby a toujours œuvré en éducation. Il est aujourd’hui retraité de la Faculté des sciences de l’éducation (FSE) de l’Université Laval, dont il est professeur émérite depuis 1999. Il a cofondé le Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES, 1992) et le Centre de transfert sur la réussite éducative du Québec (CTREQ, 2002), dont il est membre honoraire. Il est aussi chercheur honoraire actif à la Chaire de recherche Normand-Maurice (Université du Québec à Trois-Rivières) et le premier titulaire du mérite syndical de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ, 1997).
Antoine Baby est l’auteur de plus d’une quarantaine de contributions dans des ouvrages en collaboration, de plusieurs lettres dans les journaux sur des questions d’éducation, ainsi que de Le Centre pilote Laval : évaluation d’une expérience de formation des maîtres à l’élémentaire, FSE, 1973 ; de Pour une écologie de la réussite éducative, Études et recherches du CRIRES, 1995 ; et de Pédagogie des poqués, Presses de l’Université du Québec, 2005.
Mots-clés : école, école primaire, éducation, éducation scolaire, enfant-roi, Le Devoir, parents, Presses de l'Université du Québec, Qui a eu cette idée folle?, sociologie